Interdiction du Riba
Le principe sur lequel repose toute la finance islamique est de faire fructifier le capital selon les règles du droit musulman. Cela signifie la prohibition de l’usure, ribâ, entendu comme le profit prédéterminé dans les prêts et dans toute autre transaction économique et assimilé au taux d’intérêt des banques conventionnelles.
Historiquement le prêt à intérêt est bien antérieur au coran et les controverses relatives à la dette et à l’usure ont animé l’histoire des communautés humaines bien avant l’Islam. Cas assez significatif d’un phénomène d’osmose entre les civilisations, la Mésopotamie, la Grèce antique, l’empire romain, de même que les religions monothéistes, ont tous été préoccupés, à des degrés divers, par les modalités du prêt et son remboursement qu’il soit en nature ou en espèces, ainsi que par la somme à payer par l’emprunteur au prêteur pour pouvoir disposer d’une somme d’argent. Le prêt à intérêt fut pratiqué librement en Grèce et à Rome à des taux variables, ou régulé à des taux autorisés. Bien que licite, on a partout fait en sorte qu’il ne soit pas exagéré et devienne de la sorte oppresseur. Des prescriptions spéciales concernant la limitation du taux d’intérêt, les abus du créancier-prêteur et la condition du débiteur, furent inscrites dans la loi, de même que des règles et des sanctions furent établies, afin de contrecarrer les stratagèmes aux moyens desquels on cherchait à éluder les injonctions des lois civiles ou religieuses.
Ainsi, le fondement conceptuel qui détermine toute l’éthique musulmane en matière de transactions économiques, n’est autre que l’interdiction du ribâ. Dans la langue arabe, ce terme signifie simplement toute espèce d’accroissement sans la connotation négative qu’il véhiculera plus tard. Il peut donc avoir un sens positif dans les cas de l’accroissement du blé ou du capital. D’ailleurs, la même composition sémantique est vérifiée chez les Babyloniens puisque le mot qui leur sert à désigner l’intérêt est siptu, le croît du blé une fois semé et l’accroissement d’un capital. L’argent, qui est l’essence du commerce, est ainsi appelé à s’accroître. Or l’essence du commerce est justement dans l’augmentation du capital. D’où le recours au prêt à intérêt. Autre similitude avec les Babyloniens, qui ne distinguent pas l’intérêt et le profit, la langue arabe n’a pas de mot spécial pour désigner les dividendes, ce qui fait qu’à son tour le terme fâ’ida a fini par avoir des relents de ribâ.
Dans le contexte de la Mecque préislamique, société de marchands imprégnée en profondeur par l’idéologie du commerce, existaient toutes sortes d’opérations d’échange y compris les opérations de prêts divers. Il suffit de parcourir le Coran pour découvrir à quel point il est émaillé d’expressions qui reflètent l’idéologie des relations d’échanges de l’époque, comme vendre, acheter et prêter, utilisés la plupart du temps sur le mode métaphorique, associées aux rapports que la créature doit entretenir avec Dieu. Ainsi, le terme de prêt, qard, est mentionné dix fois et à chaque fois la personne est dans la situation de prêteur qui aspire de Dieu le remboursement du double de son prêt (C. 64/17). De même que le verbe acheter revient 26 fois, toujours pour reproduire l’idée d’un échange sans contrainte entre l’homme et Dieu. Quant au verbe vendre, il se trouve cité près de neuf fois. Le recours à de telles analogies est tout à fait normal lorsqu’on cherche à prêcher un message qui s’adresse à des gens dont le commerce est une activité qui frise l’obsession. D’ailleurs, le Jour de la Résurrection, celui que les Mecquois craignaient le plus, n’est-il pas celui où cesse toute activité d’échange, où « il n’y aura plus ni vente ni achat, où il n’y aura plus ni amitié ni intercession » ? (C. 2/254) Ceci pour rappeler que le crédit était partout attesté et admis comme une activité annexe et nécessaire au commerce, lorsqu’il est pratiqué à des taux raisonnables. En revanche, ce qui faisait l’objet de nombreux et subtils débats, qui était dénoncé et sévèrement condamné, était le prêt à des taux abusifs ou usuraires.
Au regard de la morale islamique, comme au regard de la morale chrétienne d’ailleurs, l’usure est considérée comme un pêché grave et une menace contre l’ordre civil. Dans la tradition musulmane, le ribâ demeure cependant l’un des pêchés les plus graves ; et la plus vénielle, la plus justifiable de ses nombreuses variantes est aussi grave que l’inceste. Il est fait allusion au ribâ dans deux passages du Coran (C. III, 130 et XXX, 39) portant sur le délai consenti à un débiteur qui ne pouvait pas payer au terme échu le capital avec les intérêts qui venaient s’y ajouter, la somme due était alors doublée. « Ne dévorez pas le ribâ avec le doublement de nouveau doublé » (III, 130). Il s’agit donc d’un prêt à la consommation contracté par un emprunteur démuni, de ce fait dépourvu de pouvoir de négociation auprès d’un prêteur prospère qui ne semble soumis, dans la fixation de l’intérêt, à aucune contrainte que la solvabilité de son partenaire. Sa condamnation, qui s’est dessinée au fil du temps, apparait ainsi comme la réponse, au nom d’une exigence de charité, à une forme d’oppression héritée de l’antiquité et qui s’est prolongée jusqu’à l’avènement de l’Islam et le qard hassan, la sadaqa et la zakat sont autant de substituts au ribâ dans la nouvelle configuration de l’éthique islamique. Enfin, ce qui est refusé dans l’intérêt, c’est le mécanisme d’un revenu opérant au sein d’une transaction bilatérale, revenu au demeurant parfaitement distingué du surplus résultant d’une activité, industrielle ou commerciale, reconnue parfaitement licite (C. II, 275).
A partir de la condamnation du ribâ, sous toutes ses formes, la finance islamique va prêcher une éthique économique conformément à cette interdiction, qu’on peut résumer brièvement dans les principes suivants :
- Interdiction du ribâ’, l’usure. Les prêts d’argent doivent être dénués de profit, ce qui revient à des taux d’intérêts proches du zéro ;
- Interdiction du gharar, l’incertitude dans les transactions, assimilée aux jeux d’argent maysir basés sur le hasard ;
- Interdiction de tout investissement dans tous les produits illicites, harâm, comme l’alcool, la viande de porc, la pornographie, etc ;
- Obligation de partage des profits et des pertes : que ce soit entre associés ou entre banque et client. Le partage des profits et des pertes est obligatoire et se fait selon le contrat initial ou selon les apports respectifs ;
- L’application du principe de l’adossement à un actif tangible : Les transactions financières islamiques se doivent d’avoir un lien direct avec un actif réel et tangible donc avec l’économie réelle.
Historiquement le prêt à intérêt est bien antérieur au coran et les controverses relatives à la dette et à l’usure ont animé l’histoire des communautés humaines bien avant l’Islam. Cas assez significatif d’un phénomène d’osmose entre les civilisations, la Mésopotamie, la Grèce antique, l’empire romain, de même que les religions monothéistes, ont tous été préoccupés, à des degrés divers, par les modalités du prêt et son remboursement qu’il soit en nature ou en espèces, ainsi que par la somme à payer par l’emprunteur au prêteur pour pouvoir disposer d’une somme d’argent. Le prêt à intérêt fut pratiqué librement en Grèce et à Rome à des taux variables, ou régulé à des taux autorisés. Bien que licite, on a partout fait en sorte qu’il ne soit pas exagéré et devienne de la sorte oppresseur. Des prescriptions spéciales concernant la limitation du taux d’intérêt, les abus du créancier-prêteur et la condition du débiteur, furent inscrites dans la loi, de même que des règles et des sanctions furent établies, afin de contrecarrer les stratagèmes aux moyens desquels on cherchait à éluder les injonctions des lois civiles ou religieuses.
Ainsi, le fondement conceptuel qui détermine toute l’éthique musulmane en matière de transactions économiques, n’est autre que l’interdiction du ribâ. Dans la langue arabe, ce terme signifie simplement toute espèce d’accroissement sans la connotation négative qu’il véhiculera plus tard. Il peut donc avoir un sens positif dans les cas de l’accroissement du blé ou du capital. D’ailleurs, la même composition sémantique est vérifiée chez les Babyloniens puisque le mot qui leur sert à désigner l’intérêt est siptu, le croît du blé une fois semé et l’accroissement d’un capital. L’argent, qui est l’essence du commerce, est ainsi appelé à s’accroître. Or l’essence du commerce est justement dans l’augmentation du capital. D’où le recours au prêt à intérêt. Autre similitude avec les Babyloniens, qui ne distinguent pas l’intérêt et le profit, la langue arabe n’a pas de mot spécial pour désigner les dividendes, ce qui fait qu’à son tour le terme fâ’ida a fini par avoir des relents de ribâ.
Dans le contexte de la Mecque préislamique, société de marchands imprégnée en profondeur par l’idéologie du commerce, existaient toutes sortes d’opérations d’échange y compris les opérations de prêts divers. Il suffit de parcourir le Coran pour découvrir à quel point il est émaillé d’expressions qui reflètent l’idéologie des relations d’échanges de l’époque, comme vendre, acheter et prêter, utilisés la plupart du temps sur le mode métaphorique, associées aux rapports que la créature doit entretenir avec Dieu. Ainsi, le terme de prêt, qard, est mentionné dix fois et à chaque fois la personne est dans la situation de prêteur qui aspire de Dieu le remboursement du double de son prêt (C. 64/17). De même que le verbe acheter revient 26 fois, toujours pour reproduire l’idée d’un échange sans contrainte entre l’homme et Dieu. Quant au verbe vendre, il se trouve cité près de neuf fois. Le recours à de telles analogies est tout à fait normal lorsqu’on cherche à prêcher un message qui s’adresse à des gens dont le commerce est une activité qui frise l’obsession. D’ailleurs, le Jour de la Résurrection, celui que les Mecquois craignaient le plus, n’est-il pas celui où cesse toute activité d’échange, où « il n’y aura plus ni vente ni achat, où il n’y aura plus ni amitié ni intercession » ? (C. 2/254) Ceci pour rappeler que le crédit était partout attesté et admis comme une activité annexe et nécessaire au commerce, lorsqu’il est pratiqué à des taux raisonnables. En revanche, ce qui faisait l’objet de nombreux et subtils débats, qui était dénoncé et sévèrement condamné, était le prêt à des taux abusifs ou usuraires.
Au regard de la morale islamique, comme au regard de la morale chrétienne d’ailleurs, l’usure est considérée comme un pêché grave et une menace contre l’ordre civil. Dans la tradition musulmane, le ribâ demeure cependant l’un des pêchés les plus graves ; et la plus vénielle, la plus justifiable de ses nombreuses variantes est aussi grave que l’inceste. Il est fait allusion au ribâ dans deux passages du Coran (C. III, 130 et XXX, 39) portant sur le délai consenti à un débiteur qui ne pouvait pas payer au terme échu le capital avec les intérêts qui venaient s’y ajouter, la somme due était alors doublée. « Ne dévorez pas le ribâ avec le doublement de nouveau doublé » (III, 130). Il s’agit donc d’un prêt à la consommation contracté par un emprunteur démuni, de ce fait dépourvu de pouvoir de négociation auprès d’un prêteur prospère qui ne semble soumis, dans la fixation de l’intérêt, à aucune contrainte que la solvabilité de son partenaire. Sa condamnation, qui s’est dessinée au fil du temps, apparait ainsi comme la réponse, au nom d’une exigence de charité, à une forme d’oppression héritée de l’antiquité et qui s’est prolongée jusqu’à l’avènement de l’Islam et le qard hassan, la sadaqa et la zakat sont autant de substituts au ribâ dans la nouvelle configuration de l’éthique islamique. Enfin, ce qui est refusé dans l’intérêt, c’est le mécanisme d’un revenu opérant au sein d’une transaction bilatérale, revenu au demeurant parfaitement distingué du surplus résultant d’une activité, industrielle ou commerciale, reconnue parfaitement licite (C. II, 275).
A partir de la condamnation du ribâ, sous toutes ses formes, la finance islamique va prêcher une éthique économique conformément à cette interdiction, qu’on peut résumer brièvement dans les principes suivants :
- Interdiction du ribâ’, l’usure. Les prêts d’argent doivent être dénués de profit, ce qui revient à des taux d’intérêts proches du zéro ;
- Interdiction du gharar, l’incertitude dans les transactions, assimilée aux jeux d’argent maysir basés sur le hasard ;
- Interdiction de tout investissement dans tous les produits illicites, harâm, comme l’alcool, la viande de porc, la pornographie, etc ;
- Obligation de partage des profits et des pertes : que ce soit entre associés ou entre banque et client. Le partage des profits et des pertes est obligatoire et se fait selon le contrat initial ou selon les apports respectifs ;
- L’application du principe de l’adossement à un actif tangible : Les transactions financières islamiques se doivent d’avoir un lien direct avec un actif réel et tangible donc avec l’économie réelle.