Les premières banques Islamiques

Pour une économie qu’on cherche à mettre en conformité avec les préceptes de l’Islam, la première décision, la plus révolutionnaire aux yeux des concepteurs, consiste à islamiser le système financier par la création de banques qualifiées d’islamiques. Celles-ci fonctionneraient dans le respect des principes de l’interdiction définitive du paiement et de la perception de l’intérêt dans toute transaction financière. Ce qui n’était jusque-là que pure spéculation, avait donc commencé à trouver à partir des années 1960 un début d’application.
Tout est parti d’Egypte au début des années 1970 lorsqu’un certain Ahmad al-Najjâr a mis au point un projet d’implantation de caisses rurales dans la localité de Mit Ghamr. Ce modèle de banque sociale devait pallier l’absence totale de réseau formel de collecte de l’épargne et de distribution de crédit dans les villages et les villes moyennes égyptiennes. Tout en excluant la pratique de l’intérêt, les Caisses d’Epargne Rurales de Mit Ghamr (CRMG) avaient, pour des raisons à la fois politiques et religieuses, affiché leur vocation islamique au niveau local tout en l’évitant soigneusement dans leur présentation aux autorités centrales. A l’origine donc, le caractère islamique des CRMG ne résulte pas d’une orientation idéologique et religieuse, mais provient d’une intelligente adaptation de pratiques économiques et financières à un contexte social et culturel spécifique. L’Egypte fut ainsi un Etat pionnier dans le domaine des banques islamiques, car partie d’Egypte le modèle de Mit Ghamr va être repris par les pays du Golfe, dépouillé au passage de la philosophie sociale qui l’avait animée tout en s’enrichissant du référent islamique. C’est dans ce contexte qu’est née la prétention de fonder un système économique islamique dont les banques islamiques constitueraient le premier jalon. Dans ce système, la participation aux risques et aux profits est considéré comme la pierre de touche du système à la base du partage des richesses entre le capital et le travail réalisant la justice. Ce système participatif aurait des résultats positifs en matière sociale et économique comme la justice, la distribution des richesses, la réduction des disparités de revenus entre les classes, une rationalisation de l’exploitation des ressources et une contribution à l’édification de l’infrastructure économique et sociale.
En 1975, l’Arabie Saoudite a lancé la Banque Islamique de Développement (BID), seul cas de banque islamique suscitée par des pouvoirs publics. La même année, est créée, dans les Emirats Arabes Unis, la Dubaï Islamic Bank, première banque privée à inscrire le référent islamique dans sa dénomination. Malgré les multiples controverses quant au bien-fondé de ce mode de financement, des centaines de banques islamiques opèrent aujourd’hui dans près de 75 pays. Ce chiffre n’inclut pas la douzaine de banques occidentales qui offrent aujourd’hui divers produits financiers islamiques à leurs clients. Un conseil de conformité à la Charia valide le caractère islamique d’un produit financier ou d’une transaction financière.
A l’origine, la diffusion du système bancaire islamique dans les pays arabes et musulmans avait un objectif idéologique et politique certain si l’on en juge par la relation organique qui, dès le départ, s’est établie entre l’association des Frères musulmans en Egypte et la constitution des premières expériences dans ce domaine considérées, du point de vue idéologique, comme autant d’étapes dans la concrétisation de ce qui était pour eux le futur Etat musulman. Ainsi n’avaient-ils pas attendu le renchérissement du prix du pétrole pour se lancer dans l’application de la théorie islamique dans le domaine de la finance. La confusion entre la doctrine islamiste des Frères et l’institution des banques islamiques remonte au milieu des années soixante comme le démontre la présence massive dans les instances dirigeantes de certaines banques islamiques de représentants de la première génération des Frères tels que Taoufik al-Shâouî (1918-2009), membre des actifs de l’association, auteur prolifique d’ouvrages sur l’économie islamique, dont deux sur la Banque Faysal et la BID dont il fut le fondateur. Proche du prince saoudien Mohamad al-Faysal, il a mis au point les statuts de la banque islamique Faysal à Khartoum au Soudan et fut membre de son conseil d’administration pendant dix ans ; ‘Isâ ‘Abdu Ibrahim (1901-1980) qui fut conseiller auprès de la Banque Islamique de Dubaï, est également un doctrinaire de la finance islamique et l’auteur du livre bunûk bilâ fawâ’id ; ‘Âdel Kamâl, autre dirigeant historique des Frères, a exercé la fonction de vice-président de la Banque Faysal ; Mohamed ‘Abd Allah al-Khatîb le mufti des Frères a occupé à son tour les fonctions de président du comité de surveillance de la même Banque Faysal lequel comité comptait parmi ses membres le très médiatique islamiste Sheikh Youssef al-Qaradhâouî, auteur d’une thèse de doctorat sur la zakat et ancien conseiller et actionnaire de certaines banques islamiques telles qu’al-Taqwâ bank domiciliée aux Bahamas, fondée par des membres prééminents des Frères musulmans et dont la retentissante faillite – ou escroquerie- a été déclarée par le même Qaradhâouî dans une fatwa célèbre comme n’étant ni plus ni moins que l’échec d’une opération de murâbaha sujette aux aléas des pertes et des profits (innahâ kânat murâbah qâbila lil ribhi wa l-khasâra); Muhammad Abû l-Su’ûd (1940-2006) théoricien du système économique islamique et auteur d’un ouvrage sur la jurisprudence de la zakat, sans parler de la présence tout aussi massive des cadres dirigeants des Frères musulmans dans le lancement de la Banque Islamique Internationale pour les Investissements et le Développement.
Ce n’est que plus tard que d’autres banques allaient voir le jour pour servir cette fois de relais aux excédents de pétrodollars et pour la promotion de l’islamisme au détriment, parfois, du développement économique. Leur dissémination dans presque tous les pays musulmans, et paradoxalement parfois dans les pays les plus hostiles à l’islamisme, avait aussi pour objectif de préparer l’avènement d’une société islamique en rendant cette perspective dans les consciences comme relevant désormais du domaine du possible. Le boom pétrolier a, ainsi, à l’initiative des fondations islamiques saoudiennes et des monarchies du Golfe, permis le financement d’innombrables projets à vocation religieuse. Sous couvert d’aide au développement, des milliards de dollars ont servi à l’édification d’un réseau de mosquées, de centres islamiques, d’universités et d’écoles à vocation religieuse. La BID s’est également investie dans la création d’un centre de recherche sur l’économie islamique et l’organisation de nombreux séminaires dans les pays arabes et en Afrique destinés à faire connaître l’Islam et les mérites de l’alternative économique islamique. C’est encore la BID qui a financé le coûteux et luxueux centre culturel islamique d’Evry, dans la banlieue sud de Paris et surtout de Mantes-la-Jolie. En dehors de la région parisienne, Riyad est à l’origine de la grande mosquée-centre islamique de Lyon, la plus grande de France. C’est que l’enjeu est de taille pour les islamistes du monde entier : instaurer une visibilité de la «vraie religion » en plein cœur de la chrétienté et de la civilisation européenne.
La différence est totale à cet égard entre les pays du Golfe et les pays comme l’Iran et le Pakistan ou le Soudan, pays dans lesquels l’Islam figure en tête de leur Constitution et qui ont adopté une vision pratique et généralisée de l’Islam des origines. Ainsi l’islamisation de l’économie est aujourd’hui, dans les faits, une réalité des pays musulmans non-arabes et de certaines communautés de la diaspora gagnées aux principes de l’interdiction de l’intérêt. La méfiance de l’Arabie Saoudite à l’égard des banques islamiques est assez significative. Jusqu’en 1987 ce pays, qui refusait l’installation de succursales islamiques sur son territoire, est pourtant celui-là même qui est derrière la majeure partie des grands projets d’islamisation économique et culturelle dans le monde arabe. C’est que l’Islam reste pour ce pays une vitrine extérieure plus qu’un mode d’organisation de l’économie. Riyad, qui continue à voir dans l’entreprise de la banque une invention douteuse travaillant à l’encontre des intérêts des musulmans, rejette catégoriquement l’existence de ces banques islamiques qui devraient, pour fonctionner correctement, tomber dans le piège des banques à intérêt. Bizarrement, des chroniques sur les finances islamiques, paraissant régulièrement dans le journal progouvernemental saoudien al-Shark al-Awsat, doutent encore de la valeur théologique des banques islamiques et se montrent même circonspectes quant au soi-disant engouement des Occidentaux pour les finances islamiques.
Tout est parti d’Egypte au début des années 1970 lorsqu’un certain Ahmad al-Najjâr a mis au point un projet d’implantation de caisses rurales dans la localité de Mit Ghamr. Ce modèle de banque sociale devait pallier l’absence totale de réseau formel de collecte de l’épargne et de distribution de crédit dans les villages et les villes moyennes égyptiennes. Tout en excluant la pratique de l’intérêt, les Caisses d’Epargne Rurales de Mit Ghamr (CRMG) avaient, pour des raisons à la fois politiques et religieuses, affiché leur vocation islamique au niveau local tout en l’évitant soigneusement dans leur présentation aux autorités centrales. A l’origine donc, le caractère islamique des CRMG ne résulte pas d’une orientation idéologique et religieuse, mais provient d’une intelligente adaptation de pratiques économiques et financières à un contexte social et culturel spécifique. L’Egypte fut ainsi un Etat pionnier dans le domaine des banques islamiques, car partie d’Egypte le modèle de Mit Ghamr va être repris par les pays du Golfe, dépouillé au passage de la philosophie sociale qui l’avait animée tout en s’enrichissant du référent islamique. C’est dans ce contexte qu’est née la prétention de fonder un système économique islamique dont les banques islamiques constitueraient le premier jalon. Dans ce système, la participation aux risques et aux profits est considéré comme la pierre de touche du système à la base du partage des richesses entre le capital et le travail réalisant la justice. Ce système participatif aurait des résultats positifs en matière sociale et économique comme la justice, la distribution des richesses, la réduction des disparités de revenus entre les classes, une rationalisation de l’exploitation des ressources et une contribution à l’édification de l’infrastructure économique et sociale.
En 1975, l’Arabie Saoudite a lancé la Banque Islamique de Développement (BID), seul cas de banque islamique suscitée par des pouvoirs publics. La même année, est créée, dans les Emirats Arabes Unis, la Dubaï Islamic Bank, première banque privée à inscrire le référent islamique dans sa dénomination. Malgré les multiples controverses quant au bien-fondé de ce mode de financement, des centaines de banques islamiques opèrent aujourd’hui dans près de 75 pays. Ce chiffre n’inclut pas la douzaine de banques occidentales qui offrent aujourd’hui divers produits financiers islamiques à leurs clients. Un conseil de conformité à la Charia valide le caractère islamique d’un produit financier ou d’une transaction financière.
A l’origine, la diffusion du système bancaire islamique dans les pays arabes et musulmans avait un objectif idéologique et politique certain si l’on en juge par la relation organique qui, dès le départ, s’est établie entre l’association des Frères musulmans en Egypte et la constitution des premières expériences dans ce domaine considérées, du point de vue idéologique, comme autant d’étapes dans la concrétisation de ce qui était pour eux le futur Etat musulman. Ainsi n’avaient-ils pas attendu le renchérissement du prix du pétrole pour se lancer dans l’application de la théorie islamique dans le domaine de la finance. La confusion entre la doctrine islamiste des Frères et l’institution des banques islamiques remonte au milieu des années soixante comme le démontre la présence massive dans les instances dirigeantes de certaines banques islamiques de représentants de la première génération des Frères tels que Taoufik al-Shâouî (1918-2009), membre des actifs de l’association, auteur prolifique d’ouvrages sur l’économie islamique, dont deux sur la Banque Faysal et la BID dont il fut le fondateur. Proche du prince saoudien Mohamad al-Faysal, il a mis au point les statuts de la banque islamique Faysal à Khartoum au Soudan et fut membre de son conseil d’administration pendant dix ans ; ‘Isâ ‘Abdu Ibrahim (1901-1980) qui fut conseiller auprès de la Banque Islamique de Dubaï, est également un doctrinaire de la finance islamique et l’auteur du livre bunûk bilâ fawâ’id ; ‘Âdel Kamâl, autre dirigeant historique des Frères, a exercé la fonction de vice-président de la Banque Faysal ; Mohamed ‘Abd Allah al-Khatîb le mufti des Frères a occupé à son tour les fonctions de président du comité de surveillance de la même Banque Faysal lequel comité comptait parmi ses membres le très médiatique islamiste Sheikh Youssef al-Qaradhâouî, auteur d’une thèse de doctorat sur la zakat et ancien conseiller et actionnaire de certaines banques islamiques telles qu’al-Taqwâ bank domiciliée aux Bahamas, fondée par des membres prééminents des Frères musulmans et dont la retentissante faillite – ou escroquerie- a été déclarée par le même Qaradhâouî dans une fatwa célèbre comme n’étant ni plus ni moins que l’échec d’une opération de murâbaha sujette aux aléas des pertes et des profits (innahâ kânat murâbah qâbila lil ribhi wa l-khasâra); Muhammad Abû l-Su’ûd (1940-2006) théoricien du système économique islamique et auteur d’un ouvrage sur la jurisprudence de la zakat, sans parler de la présence tout aussi massive des cadres dirigeants des Frères musulmans dans le lancement de la Banque Islamique Internationale pour les Investissements et le Développement.
Ce n’est que plus tard que d’autres banques allaient voir le jour pour servir cette fois de relais aux excédents de pétrodollars et pour la promotion de l’islamisme au détriment, parfois, du développement économique. Leur dissémination dans presque tous les pays musulmans, et paradoxalement parfois dans les pays les plus hostiles à l’islamisme, avait aussi pour objectif de préparer l’avènement d’une société islamique en rendant cette perspective dans les consciences comme relevant désormais du domaine du possible. Le boom pétrolier a, ainsi, à l’initiative des fondations islamiques saoudiennes et des monarchies du Golfe, permis le financement d’innombrables projets à vocation religieuse. Sous couvert d’aide au développement, des milliards de dollars ont servi à l’édification d’un réseau de mosquées, de centres islamiques, d’universités et d’écoles à vocation religieuse. La BID s’est également investie dans la création d’un centre de recherche sur l’économie islamique et l’organisation de nombreux séminaires dans les pays arabes et en Afrique destinés à faire connaître l’Islam et les mérites de l’alternative économique islamique. C’est encore la BID qui a financé le coûteux et luxueux centre culturel islamique d’Evry, dans la banlieue sud de Paris et surtout de Mantes-la-Jolie. En dehors de la région parisienne, Riyad est à l’origine de la grande mosquée-centre islamique de Lyon, la plus grande de France. C’est que l’enjeu est de taille pour les islamistes du monde entier : instaurer une visibilité de la «vraie religion » en plein cœur de la chrétienté et de la civilisation européenne.
La différence est totale à cet égard entre les pays du Golfe et les pays comme l’Iran et le Pakistan ou le Soudan, pays dans lesquels l’Islam figure en tête de leur Constitution et qui ont adopté une vision pratique et généralisée de l’Islam des origines. Ainsi l’islamisation de l’économie est aujourd’hui, dans les faits, une réalité des pays musulmans non-arabes et de certaines communautés de la diaspora gagnées aux principes de l’interdiction de l’intérêt. La méfiance de l’Arabie Saoudite à l’égard des banques islamiques est assez significative. Jusqu’en 1987 ce pays, qui refusait l’installation de succursales islamiques sur son territoire, est pourtant celui-là même qui est derrière la majeure partie des grands projets d’islamisation économique et culturelle dans le monde arabe. C’est que l’Islam reste pour ce pays une vitrine extérieure plus qu’un mode d’organisation de l’économie. Riyad, qui continue à voir dans l’entreprise de la banque une invention douteuse travaillant à l’encontre des intérêts des musulmans, rejette catégoriquement l’existence de ces banques islamiques qui devraient, pour fonctionner correctement, tomber dans le piège des banques à intérêt. Bizarrement, des chroniques sur les finances islamiques, paraissant régulièrement dans le journal progouvernemental saoudien al-Shark al-Awsat, doutent encore de la valeur théologique des banques islamiques et se montrent même circonspectes quant au soi-disant engouement des Occidentaux pour les finances islamiques.