C’est l’Arlésienne du débat en cours sur la transition énergétique: le financement. Lors d’un groupe de travail dédié à ces questions, le représentant de l’ONG Ecologie sans frontière au Conseil de la transition énergétique a mis les pieds dans le plat, en proposant que la finance islamique, et plus largement l’épargne éthique, soient sollicitées pour rendre possibles des investissements que l’Etat exsangue et les banques classiques ne seraient, selon lui, pas en mesure d’assumer pleinement. Idée farfelue ou piste à creuser? Le Journal de l’environnement s’est posé la question. Disponible sur le site du ministère de l’écologie, le «socle de connaissances» pose le cadre du débat sur la transition énergétique lancé en janvier. Dans ce document, une seule page est consacrée aux pistes de financement. Avec des interrogations du type: «Quelle répartition entre le financement public et le privé? Quels modes de coopération public-privé? Quel partage de l’effort entre consommateurs, contribuables et entreprises? Quelles priorités pour la Banque publique d’investissement, avec l’aide des fonds d’épargne?»
Les cahiers d’acteurs rédigés par les parties prenantes ne sont pas plus diserts sur le sujet, ou si peu. La chambre de commerce et d’industrie de France, par exemple, semble surtout compter sur le financement public et aucune association ne chiffre, même provisoirement, les sommes qu’il faudrait dégager pour les premiers investissements. Si le sujet n’est pas tabou, il semble toutefois compliqué à aborder en ces temps de disette budgétaire. Face à cette inertie, Jean-Yves Leber s’est lancé. Pourquoi ne pas financer la rénovation des logements, la construction de centrales solaires ou des pompes à chaleur avec des fonds issus de la finance islamique -basée sur l’interdiction de générer des intérêts et la responsabilité sociale liée à l’investissement- et de particuliers soucieux de l’usage qui est fait de leur argent? Le représentant d’Ecologie sans frontière a lancé l’idée la semaine passée, lors d’un groupe de travail; elle est actuellement en cours d’étude par les experts du débat. Son idée peut se résumer ainsi: mobiliser de nouveaux acteurs privés, qui disposent de liquidités et qui sont sensibles aux secteurs impliqués dans la transition énergétique. Première étape: «Il faut flécher le financement privé vers la transition écologique, détaille Jean-Yves Leber au Journal de l’environnement, pour que les banquiers soient rassurés d’une part et cadrés d’autre part». Pour ce faire, il s’agit en quelque sorte de sanctuariser toutes les dépenses liées à la transition écologique et de considérer qu’elles ne relèvent plus des mécanismes financiers «classiques», qui étranglent aujourd’hui particuliers et investisseurs privés. «Les petites centrales en photovoltaïques en petite toiture sont aujourd’hui financées avec du crédit à la consommation. Donc le coût du crédit leste le coût de l’électricité», rappelle Jean-Yves Leber. «C’est un crédit hypothécaire qu’il faudrait mettre en place, qui aurait pour effet de baisser de 30% le prix d’achat.»Pour y parvenir, il faudrait surtout «faire la transparence sur les taux de l’usure et limiter la marge des banques qui investissent dans ces secteurs». Et d’énoncer un mode de calcul basé sur les seuils d’usure publiés par le ministre de l’économie et des finances. Il appelle à la création «d’une gamme de taux spécial pour le financement de la transition énergétique», pour emporter la décision du particulier qui hésite à changer ses fenêtres, ou de l’industriel qui s’interroge pour refaire l’électricité en autoconsommation. «On est dans de nouvelles technologies, qui ne bénéficient souvent pas de la garantie décennale. Du coup, les banquiers considèrent que c’est risqué, et donc c’est cher»,explique celui qui a été longtemps intermédiaire en opération de banque en ligne. Deuxième étape: trouver des financeurs privés désireux d’investir dans des projets environnementaux à faible retour sur investissement. «L’objectif poursuivi par le financement islamique, ce n’est pas de faire du prosélytisme, mais de contribuer au développement humain, par un investissement responsable», rappelle Jean-Paul Laramée, secrétaire général de l’Institut français de la finance islamique. «Les activités interdites sont à peu près identiques à celles énoncées dans la charte du fonds de pension public norvégien –abondé par les ventes d'hydrocarbures nationaux et qui pèse 525 milliards d'euros- très à cheval sur l’éthique et qui condamne les investissements dans l’industrie du tabac, de l’alcool, des armes ou qui engendrent des dommages pour l’environnement.» L’investissement ne peut être «aléatoire et spéculatif». Rien à voir, donc, avec les récentes avalanches de millions qataris qui ont submergé le Paris Saint-Germain. «Ce ne sont pas des investissements conformes à la Charia. On confond pétrodollars et financement islamique. Plus de la moitié de la trentaine d’établissements financiers qui le pratiquent sont issus d’Asie du Sud-est», précise Jean-Paul Laramée. Les sommes en jeu sont colossales, qui sont estimées entre 2 et 3.000 milliards de dollars (entre 1.537 et 2.306 Md€), dont une partie a déjà financé des projets d’énergies renouvelables en Italie et en Allemagne. Un espoir de les voir investir en France? «L’image de la France est très mauvaise à leurs yeux, indique Jean-Paul Laramée. Et les partenaires non islamiques doivent s’engager de façon sérieuse», prévient-il, avec en tête des tentatives malheureuses de jeter des ponts entre ces deux mondes. Financer des projets à haute valeur environnementale et socialement soutenables, c’est ce que fait tous les jours Finansol, une association qui labellise des projets de placements d’épargne solidaire.«Nous démontrons aux gens qu’il est possible de souscrire à des projets d’épargne qui privilégient les valeurs qu’ils défendent, comme les questions environnementales ou les question d’économie d’énergie dans le logement», précise Eve Bénichou, chargée de communication chez Finansol. Au 31 décembre 2011, près de 879 M€ avaient été consacrés au financement de projets solidaires. Dont un tiers pour des projets à utilité environnementale forte (énergies renouvelables, agriculture biologique) et un autre tiers pour le logement (le reste étant consacré à l’insertion, l’emploi et les partenariats avec les pays en développement). «Plus la question environnementale et la transition écologique seront mises en avant, plus cela fera prendre conscience que ce ne sont pas des questions d’écolos et que chacun peut les intégrer dans ses investissements», observe Eve Bénichou. Les esprits seraient mûrs, des fonds existeraient. «Notre objectif, c’est de mettre l’Etat au pied du mur et de lui dire: vous n’avez pas un rond, alors comment on fait?», précise Franck Laval, le président d’Ecologie sans frontière. «Car le cœur du débat sur la transition énergétique, c’est bien celui-ci: le financement.» source: journaldelenvironnement.net
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